L’interdiction de séjour prise à l’encontre de Thierry Breton par les autorités américaines constitue un tournant dans les relations transatlantiques en matière de régulation numérique et de liberté d’expression.
L’affaire « Thierry Breton » a suscité une forte réaction médiatique et politique, notamment en Europe, où elle est perçue tantôt comme une attaque contre la souveraineté européenne, tantôt comme une ironie politique révélatrice d’un malaise plus profond.
Un refus de visa encadré politiquement
Les États-Unis ont annoncé fin décembre 2025 l’interdiction d’entrée sur leur territoire pour Thierry Breton ainsi que pour quatre autres personnalités européennes. Cette mesure s’inscrit dans un changement de politique américaine en matière d’octroi de visas, plus strict vis-à-vis de responsables étrangers accusés d’avoir exercé des pressions visant à censurer des contenus sur des plateformes technologiques américaines.

Le département d’État américain, par la voix du secrétaire Marco Rubio et de la sous-secrétaire Sarah Sanders, affirme que ces individus ont cherché à contraindre des plateformes américaines à censurer, démonétiser ou supprimer des opinions et des contenus américains — ce que Washington qualifie de « censure extraterritoriale ».
Parmi les autres personnes visées figurent notamment des dirigeants d’organisations telles que HateAid et le Global Disinformation Index, ainsi que le directeur du Center for Countering Digital Hate — tous accusés, selon le gouvernement américain, d’avoir participé à des campagnes visant à influencer la modération du contenu aux États-Unis.
Le rôle de Thierry Breton dans la régulation numérique européenne
La décision américaine s’inscrit dans le contexte plus large de la législation européenne sur le numérique, en particulier du Digital Services Act (DSA), adopté par le Parlement européen et les États membres. Ce texte, que Breton a largement promu durant son mandat de commissaire au marché intérieur, vise à encadrer la modération des contenus en ligne et à lutter contre la désinformation
Pour Washington, ces réglementations constituent une ingérence excessive dans le fonctionnement des plateformes américaines, qu’il considère comme une menace pour la liberté d’expression protégée par le premier amendement de la Constitution américaine.
Thierry Breton lui-même a dénoncé la mesure sur le réseau X, qualifiant la décision d’« hunt witch de McCarthy », en référence aux purgeurs politiques des années 1950 aux États-Unis.
De plus, les autorités européennes se sont récemment illustrées par des mesures de coercition à l’encontre de deux citoyens européens : Xavier Moreau et Jacques Baud. Cf. Notre article « Jacques Baud et Xavier Moreau mis au ban de l’Europe : le retour du délit d’opinion ?
Réactions européennes et tension transatlantique
La réaction politique en Europe a été immédiate. La France, l’Allemagne et des responsables de l’Union européenne ont condamné les restrictions aux visas, estimant qu’elles portent atteinte à la souveraineté réglementaire européenne et à la légitimité démocratique de ses textes numériques.
Le ministre français des Affaires étrangères a insisté sur le fait que le DSA « n’a absolument aucune portée extraterritoriale et ne concerne en aucun cas les États-Unis », soulignant que l’Union européenne ne peut pas se voir imposer par un tiers les règles qui régissent son propre espace numérique.
Cette dispute illustre une fracture plus profonde dans les rapports entre l’Europe et les États-Unis sur la gouvernance du numérique :
- Bruxelles défend des normes strictes de régulation et de responsabilité des plateformes,
- Washington met en avant une conception de la liberté d’expression centrée sur la protection maximale de la parole individuelle, en particulier des contenus produits aux États-Unis.
Vidéo : Thierry Breton, le censeur pris à son propre piège
Le cas de Thierry Breton : un signal politique majeur
Au-delà du cas individuel de Thierry Breton, cette mesure américaine est perçue comme un signal politique fort : elle illustre la volonté de Washington de protéger ses intérêts économiques et technologiques face à ce qu’il considère comme des barrières ou des contraintes imposées par des réglementations étrangères.
Elle met également en lumière un dilemme stratégique pour l’Europe : comment concilier sa quête de souveraineté numérique, par la régulation, avec le maintien de relations stables avec des partenaires dont les visions de la liberté d’expression et de la gouvernance numérique divergent profondément.
L’affaire Thierry Breton dépasse largement le cadre d’un simple refus de visa. Elle cristallise des tensions structurelles entre deux modèles de gouvernance du numérique – l’un axé sur la régulation éthique et la responsabilité des plateformes, l’autre centré sur la liberté d’expression au sens le plus large – et soulève la question de la capacité de l’Europe à faire respecter ses normes sans subir de représailles politiques ou économiques.
La question n’est donc pas seulement de savoir si Thierry Breton est victime ou responsable, mais aussi si l’Europe peut durablement fonder son autorité sur la contrainte plutôt que sur la création, l’innovation et la liberté.
❓ Foire aux questions – Quand la censure européenne se heurte aux États-Unis
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